Par Benman - 26-12-2020 22:44:26 - 7 commentaires
Oui, la musique symphonique est une invention incroyable, qui permet d’obtenir une variété quasi infinie de sonorités et de conversations.
Mais la musique symphonique, comme tout phénomène de masse peut aussi lasser. Les individualités peinent à s’exprimer et sortir de la nasse.
Les musiciens ont créé le concerto, qui permet à un soliste de briller. Mais quelle injustice pour le reste des musiciens, qui servent de faire-valoir au héros qui brille sur leur do ou leur sol.
Alors les musiciens ont inventé la musique de chambre, et en particulier le quatuor à cordes.
Un quatuor à cordes est en général constitué de 2 violons qui se répondent, un alto, plus grave, qui a sa partie, et un violoncelle, majestueux, qui sert de base à tout ce beau monde.
Mais surtout dans un quatuor, les individualités sont magnifiées par la puissance du collectif. Chacun soutient l’autre tout en enrichissant sa partie.
C’est la puissance du groupe qui créé l’émotion et la vitalité du morceau.
Tout bon quatuor comporte des parties rapides dans lesquelles les musiciens virtuoses font admirer leur technique un peu sur le modèle du fractionné sur piste, et des mouvements plus lents, où les musiciens les plus sensibles vont pouvoir faire admirer la richesse de leurs sonorités, en douceur et avec patience, un peu comme un coureur fait ses gammes en endurance fondamentale.
Dans le quatuor classique, 3 grands compositeurs dominent la production, car ils ont donné leurs lettres de noblesse à cet art : Haydn, Mozart et Beethoven.
Oui, Bach n’a pas tout inventé dans la musique dite « classique »
Mais puisqu’il faut donner des avis, pour moi celui qui me procure le plus de bonheur et de curiosité, c’est le quatuor en fa majeur de Maurice Ravel, qu’il composa en 1903 à l’âge de 27 ans.
Ce n’est pas du tout un quatuor classique ou ordinaire. Sa structure musicale est très complexe et casse les codes du classicisme.
Tout le monde, de ravel, connait évidemment le bolero. Cette musique entêtante qui est devenue un tube absolu, a fait un peu oublier quel génie a pu être par Ravel.
Dans son concerto pour piano en sol, Ravel a notamment su donner une grâce au piano, qui dialogue avec l’orchestre et avec le hautbois dans une époustouflante partie de cache-cache, interrompue au milieu par un mouvement lent qui est peut-être ce que la musique a produit de plus beau.
Mais le quatuor à cordes de Ravel, son unique quatuor à cordes, d’ailleurs, utilise toute la vivacité et la richesse des instruments, dans leurs sonorités les plus inattendues.
Ceux qui ont vu le film « un cœur en hiver » de Claude Sautet, y ont peut-être découvert ce quatuor, omniprésent, qui rythme toute l’intrigue.
Les violons se répondent comme des oiseaux perchés au sommet d’une montagne. Les dissonances sont rattrapées in-extrémis, comme on se rattrape à une racine après avoir glissé sur un chemin.
Mais c’est sur un rythme de danse que se poursuit l’histoire. On a envie de sauter en l’air avec les instruments, et on sent le vent qui nous pénètre dans une formidable poésie.
Mais surtout, cette œuvre nous montre des instruments qui construisent ensemble une histoire, qui se soutiennent les uns les autres et s’inventent des lendemains prodigieux, aussi bien dans le lent, que dans le rapide.
Cette œuvre à mon sens préfigure les grandes heures des quartets de jazz qui ont révolutionné la musique moderne.
Mais surtout cette œuvre est en mode majeur. Vous savez en musique, il y a le mode majeur, et le mode mineur.
Le mode mineur est souvent associé à la mélancolie et la grâce, tandis que le mode majeur est sensé plus véhiculer la joie et la sérénité.
Aujourd’hui, cette distinction est devenue un peu désuète. 99% des compositions de rock, pop ou variété sont en mode mineur. On y retrouve souvent les 4 mêmes accords magiques accompagnés à toutes les sauces.
La musique a beaucoup perdu de sa richesse chromatique face à cette invasion du mode mineur simplifié.
Le terme chromatique, qui désigne la succession des plus petites notes dans une gamme, afin de former une palette de couleurs, reprend évidemment le terme champ chromatique en peinture, et ce n’est pas un hasard.
Mais la pop et la variété se sont construits alors que la musique dite « moderne » partait dans le dodécaphonisme et l’atonalité, si difficiles à comprendre quand on n’a pas une oreille très entrainée, et à toute épreuve.
Le mode majeur, ici est celui de l’assemblage dans les dissonances, celui de l’inquiétude assortie à la sérénité et l’espoir, sans céder à la mélancolie. Un peu ce qu’on aurait finalement aimé que 2020 soit. Alors que 2020 restera définitivement comme un année mineure et mélancolique.
******
Mais pourquoi je vous raconte tout ça, qui n’a rien à voir ou presque avec la course à pieds ?
J’ai découvert le quatuor à pattes grâce à kikourou au cours du parcours des Crêtes organisé par l’Echappée Belle.
Je vous raconte la genèse de notre quatuor kikouresque, et la belle interprétation qu’il a donnée à l’occasion de cette course si rare, cet été.
C’est bientôt les inscriptions pour l’Echappée Belle, n’hésitez pas à y faire un tour, soit comme coureur, comme bénévole ou comme supporter. C’est devenu un événement incontournable de note été et notre année kikouresque. Pour faire un beau quatuor, il faut des instruments qui ont une richesse, mais il faut surtout une belle partition.
Nous l’avons eue avec ce parcours des crêtes.
Billet précédent: L'expédition La Pérouse
Billet suivant: chocoff feat off de l'Ecureuil : rencontre au sommet
7 commentaires
Commentaire de Khanardô posté le 27-12-2020 à 15:24:50
C'est bien quand tu parles de musique Benoit, tu devrais le faire plus souvent !
J'ose me permettre d'ajouter juste un truc au sujet de "Aujourd’hui, cette distinction est devenue un peu désuète. 99% des compositions de rock, pop ou variété sont en mode mineur. On y retrouve souvent les 4 mêmes accords magiques accompagnés à toutes les sauces.
La musique a beaucoup perdu de sa richesse chromatique face à cette invasion du mode mineur simplifié."
Il ne faudrait quand-même pas laisser pour compte le jazz modal qu'ont vraiment inventé Davis et Coltrane. La progression des accords était un carcan pour les compositeurs et un blocage pour les impros ; alors ils ont exploré la façon de s'en affranchir, arrivant à cette forme modale qui a révolutionné le jazz et, partant, la musique de la deuxième moitié du XXème.
Quelque part, Miles puis le jazz-rock nous ont probablement ouvert les oreilles aux autres musiques, et à l'instar de Ravel nous avons pu apprécier le mélange modal/tonal de ces sonorités.
Manoukian l'explique très bien dans cette petite vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=i489nPaHe3k
En tout cas, merci Benoit pour ce beau billet que tu nous as fait là, il n'y a pas que les godasses et la déniv' dans la vie !
Commentaire de Benman posté le 27-12-2020 à 18:27:52
Merci Alain pour ce commentaire éclairé.
Je ne parlais évidemment pas du jazz dans la partie que tu cites, mais beaucoup plus de la pop et la variété.
Mais ces genres "mineurs" (c'est Gainsbourg qui le dit, pas moi) parlent différemment, par des rythmes, des paroles, des timbres de voix...et j'en écoute aussi avec beaucoup de plaisir.
Je pense qu'ils ont toujours existé à côté de la musique dite "savante", à travers la chanson de geste, les danses populaires, ou les polyphonies traditionnelles.
Il est très probable que haydn, Mozart ou Haendel (j'ai volontairement pris des compositeurs populaires à leur époque) n'étaient connus que d'une élite intellectuelle, quand la majorité des personnes dansaient au son des troubadours qui tournaient dans les campagnes sur des airs populaires très simples comme la pop d'aujourd'hui. (Cliché? - je n'y étais pas...)
J'ai regardé quelques-unes des video de Manoukian. Il parle de manière très imagée de la théorie musicale, c'est plaisant. On sent le jazzman derrière.
J'adhère moins quand il ramène tout systemetiquement à la vie sentimentale ou à de grandes théories générales sur la vie ou le management.
Zygel qui est un très bon pédagogue et vulgarisateur explique tout cela merveilleusement à mon sens.
je découvre un peu cette théorie modale que je connais peu du coup et qui est intéressante.
Mais je ne m'intéresse pas vraiment à la science musicale en fait. Je cherche juste à comprendre la musique que j'aime à partir de mes modestes connaissances.
Le jazz est probablement passionnant et d'une complexité au moins aussi importante que le classique. J'ai un fils qui en joue beaucoup à la flute traversière et au saxo. Perso j'ai plus de mal. Je pense que ça vient d'une éducation musicale et de ma sensibilité de tout petit violoniste. Mais la musique est fascinante.
Concernant le quatuor en fa de ravel, on trouve la partition facilement. https://musopen.org/fr/music/4725-string-quartet-in-f-major/
Écouter le 3ème mvt et lire la partition en même temps est fascinant (c'est plus compliqué sur les 3 autres mouvements, ça va vraiment vite). On voit encore mieux qu'avec simplement les oreilles comment les instruments se répondent.
Commentaire de Bikoon posté le 05-01-2021 à 18:22:17
Merci Benoît pour cet instant classique !
Commentaire de philkikou posté le 11-01-2021 à 06:55:15
Belle échappée dans le monde de la musique ! Tu as plusieurs cordes à tes baskets, de quoi ne pas s'en lasser
Commentaire de jazz posté le 31-01-2021 à 18:16:35
Ravel musicien génial et fidèle en amitié. Voilà une comparaison fort à propos.
moi le matin c'est parfois ça > https://www.youtube.com/watch?v=GKkeDqJBlK8
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 12-03-2021 à 19:42:34
Une visions inversée et originale de l'histoire de la musique... merci à toi de maintenir le niveau culturel du site avec ces musiques superbes.
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 12-03-2021 à 19:43:00
J'ai des visions...
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.